Patrons, soyez mauvais, ça rapporte !

[maverick]

En vérité, je vous le dis, il y a des formules toutes faites qui méritent d’être sérieusement revues et corrigées...
La crise financière mondiale, qui a pour première conséquence de voir les banques, longtemps considérées comme pleines aux as, devenir des victimes, me conduit à penser qu’il faut, pour un long moment sans doute, bannir du vocabulaire usuel l’expression « aux innocents les mains pleines ». En effet, depuis quelques années, et la crise remet le sujet à la une des journaux, on nous raconte l’histoire tristement vraie de chefs d’entreprise que le conseil d’administration finit par virer, mais qu’il console avec une effrayante addition d’indemnités de départ et de stock-options, addition qu’on appelle « parachute doré ».

Je ne sais pas à quoi aurait ressemblé la fin de vie de M. Noël Forgeard s’il avait convenablement géré EADS, s’il n’avait pas accumulé les retards de livraison de l’Airbus A380. Mais ce que l’on sait bien, c’est que sa mauvaise gestion lui a fait prendre une retraite anticipée avec dans la poche un chèque de 12 millions d’euros auquel il s’accroche comme un morpion à un testicule. M. Philippe Jaffré a fait perdre à Elf la bataille boursière menée contre Total, et pour le punir on l’a prié de rentrer chez lui avec 37 millions d’euros ! Le célèbre Jean-Marie Messier a fini par renoncer aux 20 millions d’euros dont il rêvait en quittant Vivendi par la petite porte ; veuillez, mesdames et messieurs, prier pour lui car, avec ce qu’il lui reste, M. Messier doit sûrement se battre pour toucher le RMI qui lui permettrait de payer le paillasson de son appartement à New York.

L’ancien président de Carrefour M. Daniel Bernard, viré du jour au lendemain pour mauvais et déloyaux services, est parti avec 9 millions d’euros immédiatement versés et une rente de 29 millions d’euros jusqu’à son décès ; rendez-vous compte, n’est-ce pas la misère absolue ? Et n’oublions pas de présenter nos hommages respectueux à Mme Patricia Russo, directrice générale d’Alcatel, société qui a perdu 4 milliards d’euros en dix-huit mois ; pour ce joli service rendu à l’entreprise, Mme Russo, qui a eu l’immense courage de démissionner avant même qu’on l’ait remerciée, n’a pas oublié de mettre dans son sac à main un petit chèque de 6 millions d’euros.

N’oublions pas que ces braves patrons responsables et coupables auraient parfaitement bien vécu avec leur retraite sans les chèques monstrueux qu’on leur a accordés. Alors faisons l’addition : Forgeard 12 millions + Jaffré 37 millions + Bernard 38 millions + Russo 6 millions (pour ne parler que de ceux-là), cela fait 93 millions d’euros (ça ne serait pas mal d’entretenir le RSA avec ces petites broutilles). Comme vous le voyez, la formule qui s’impose aujourd’hui est « aux coupables les mains pleines ». Je note néanmoins que ces patrons milliardaires ont un point commun : sur les photos, ils font tous la gueule, ils ont presque l’air malheureux. Alors, comme a dit Jules Renard : « Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! »