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La pétition contre la loi Dati sur la rétention de sûreté (qu'en pensez vous _ article à lire )

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Message  coal Dim 16 Nov - 15:45

La présomption de dangerosité et la figure du fou dangereux

La pétition contre la loi Dati sur la rétention de sûreté
lancée par des psychiatres et des experts auprès des tribunaux a déjà
recueilli près de 1.400 signatures. Pauline Rhenter*, politologue,
montre qu'une telle réforme modifie profondément le droit français en
refusant aux «classes dangereuses» les protections garanties à tout
individu.



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La loi de rétention de sûreté prévoit des mesures dites de prévention de
la récidive de criminels condamnés pour des actes très graves et
modifie la procédure concernant l'irresponsabilité pénale pour cause de
trouble mental. Elle se réfère à la notion de dangerosité, ce qui
interroge d'emblée la possibilité et la légitimité de l'enfermement; en
associant dans le même texte deux questions très différentes (la
dangerosité des auteurs d'actes délinquants graves et la responsabilité
pénale des délinquants malades mentaux), elle méprise de surcroît
l'invalidité du lien entre maladie mentale et délinquance, ce qui
aggrave la stigmatisation que subit déjà cette catégorie de malades.

Sa teneur témoigne d'une évolution des fondements et critères des
mesures de privation de liberté et révèle les enjeux plus généraux
d'une reconfiguration du droit pénal. Tout d'abord, la justification
première de la privation de liberté individuelle constitue un enjeu
politique, dans les deux sens du terme — idéologique et public : sur
quels motifs doit-on priver de liberté?


En second lieu, la question de la légitimité et du partage des
responsabilités dans les mesures de privation de liberté individuelle,
et avec elle, celle du rapport du responsable de ces mesures aux
experts, se pose: qui doit priver de liberté ? De quelle marge de
liberté dispose le responsable par rapport aux avis dits «experts»?


Enfin, l'enjeu juridique du maintien de législations spécifiques à
certaines catégories de populations pourrait s'énoncer ainsi : comment
préserver l'égalité des citoyens devant la loi lorsque le droit commun
souffre dans son principe de régimes d'exception susceptibles d'être
élargis ? Dans quelle mesure le maintien ou à la création de
législations dites « spéciales » interrogent les « politiques » de
droit commun? L'objet de cette contribution n'est pas de traiter de la
gestion sociale de la dangerosité associée — indûment — à la maladie
mentale. Il s'agit plutôt d'interroger la figure du « fou dangereux »
en tant qu'elle est mobilisée par une politique qui réfère plus
généralement à des discours dits experts pour identifier et surveiller
des populations déviantes assimilées à des «classes dangereuses» (1),
repérables au moyen d'outils confinant au fichage, objectifs chiffrés à
l'appui (2) .


Certaines catégories de populations (les malades mentaux, les
étrangers, les pauvres) se verraient dès lors «pénalisées» a maxima, ou
« présumés dangereux » a minima, en face de leurs doubles inversés (les
«entrepreneurs» bénéficiant de la dépénalisation du droit des affaires,
les victimes de la délinquance, les victimes de discriminations, etc).


Est-ce à dire que l'actuelle loi de rétention de sûreté ne connaît
pas d'antécédents, loin s'en faut. Ainsi, au XIXe siècle, la
dangerosité des individus est au coeur d'un débat massif autour des
criminels dits « d'habitude ». Le droit de punir est alors interrogé
dans sa capacité à garantir la défense de la société contre des
individus ne relevant ni de l'asile d'aliénés, ni de la prison,
considérés comme des « anormaux sociaux ».


Les premières mesures de relégation de sûreté sont adoptées à la
fin du XIXe siècle. La « relégation », instituée par la loi du 27 mai
1885, était initialement une peine complémentaire obligatoire pour les
multirécidivistes consistant dans l'internement perpétuel en Guyane ou
en Nouvelle-Calédonie. Ce mode d'exécution de la relégation a pris fin
avec la Deuxième Guerre mondiale mais la peine, devenue facultative et
de moins en moins appliquée, n'a été supprimée qu'en 1970 (3) : la
relégation est alors remplacée par la « tutelle pénale » (4) qui ne
peut excéder dix ans à compter de l'expiration de la peine principale,
et qui fut supprimée par la loi « sécurité et liberté » en 1980.


Quant aux divers projets de centres de rétention après la peine,
ils s'inscrivent dans la lignée des mesures de sûreté prônées par le
mouvement de la défense sociale né à la fin du XIXe siècle (5). Plus
récemment, en 1954, une commission nationale est formée pour mettre en
forme un avant-projet de loi concernant « les délinquants anormaux
mentaux » dans le contexte particulier du mouvement de la « défense
sociale nouvelle » (6), qui tend à substituer à la notion classique de
peine rétributive celle de « mesure de sûreté ». Les partisans de la
défense sociale nouvelle préconisent alors des mesures de sûreté en cas
d'état dangereux de l'aliéné et proposent un système mixte prévoyant
une détention dite de ‘défense sociale' à caractère "médico-répressif"
prononcée par le juge en lieu et place de la peine. Les juristes de
l'époque partisans d'un tel système prônent en conséquence la création
d'hôpitaux-prisons pour ces "demi-fous ou délinquants anormaux mentaux"
qui relèvent "autant de l'hôpital que de la prison" : "pour l'instant,
ils ont une responsabilité atténuée : c'est une mauvaise solution et
tout le monde souhaite un régime mixte médico-répressif combinant les
peines et mesures de sûreté, établi à la fois dans le but de punir et
celui de guérir, et auquel ils seraient soumis dans des établissements
spéciaux qui tiendraient lieu à la fois d'hôpital et de prison" (7) .
En 1974, une commission du Ministère de la Justice élabore de nouveau
un projet de loi sur "les délinquants anormaux mentaux" (Cool.


La loi de rétention de sûreté s'inscrit donc dans un histoire plus
longue des « projets d'enfermement pour état dangereux » et renoue avec
une tradition révolue depuis 1980 puisqu'il légitime l'enfermement
préventif (de la récidive) sur présomption de dangerosité, non en lieu
et place de la peine mais à la fin de son exécution.
Toutefois,
Claude-Olivier Doron, chercheur spécialisé en histoire de la
criminologie, indique que cette loi s'inscrit dans un mécanisme de
gouvernement de la dangerosité relativement inédit qui prend appui sur
une figure du criminel aliéné grevé de droits et de devoirs dont
l'enfermement est moins légitimé par la défense de la société que la «
thérapie de la victime ». Cette évolution tendrait à évacuer du débat
criminologique la question de la responsabilité morale du sujet,
question centrale au XIXe siècle, au profit d'une gouvernementalité
faisant peser le risque d'erreur du pronostic de dangerosité sur le
criminel plutôt que sur les victimes (9).


Autrement dit, la rétention à durée indéterminée dans des
établissements spéciaux d'individus jugés particulièrement dangereux
est fondée sur l'acceptation d'une détention potentiellement
arbitraire. Les experts requis à l'appui d'une telle décision ne
doivent plus se prononcer plus sur la responsabilité d'un individu
appelé à répondre d'un acte passé, mais sur sa propension future à
accomplir des actes répréhensibles. La figure du « fou dangereux »
serait dans un tel contexte une figure parmi d'autres.


A suivre:
Partie 2. Prédire la dangerosité, une impasse
Partie 3. Le temps des régimes d'exception


* Politologue. Cette note a été publiée par le think-tank La Forge.


____
1. Cette expression est utilisée pour la première fois par
l'Académie des sciences morales et politiques, à l'occasion du
lancement d'un concours visant à rechercher les éléments dont se
compose cette partie de la population qui forme «une classe dangereuse par ses vices, son ignorance et sa misère» et «indiquer les moyens à employer pour améliorer cette classe dangereuse et dépravée».
Henri Frégier, chef de bureau à la Préfecture de la Seine, répond à ce
concours par un volume de près de 900 pages publié en 1840, dans lequel
écarte toute responsabilité majeure de l'organisation sociale et fait
de la dépravation morale la cause génératrice du crime. Il propose in
fine non des réformes sociales mais «un plan de perfectionnement moral du pays». Des classes dangereuses dans la population des grandes villes et des moyens de les rendre meilleures (1840), Reprint Slatkine/Mégariotis, Genève, 1977.


2. Voir les développements de Serge Portelli dans Ruptures
sur l'explosion du nombre de gardes à vue entre 2001 et 2006 (+57%),
les instructions nationales et zonales donnés aux policiers sur les
objectifs chiffrés à atteindre en termes d'interpellations, la
multiplication des fichiers nominatifs existants ou en projet (fichier
Eloi sur les étrangers en situation irrégulière annulé par le Conseil
d'Etat, l'immense fichier du système de traitement des infractions
constatées légalisé par la loi n°2003 du 18 mars 2003 sur la sécurité
intérieure, projet de fichier des hospitalisés d'office en psychiatrie
du projet initial de la loi de prévention de la délinquance...).


3. Les rapporteurs de la commission des lois du Sénat relevaient alors :
« après avoir passé une partie de leur vie en prison, les relégués
n'ayant pas de responsabilité à prendre, finissent par y perdre toute
personnalité. Livrés à eux-mêmes lors de leur sortie - il pouvait être
mis fin à la relégation par une libération conditionnelle subordonnée à
la justification par le condamné d'un emploi et d'un domicile -
beaucoup d'entre eux sont incapables de se réadapter seuls au monde
extérieur après des années passées entre les murs du pénitencier : on
cite des cas de relégués ayant commis des crimes exprès pour être à
nouveau condamnés et retrouver en prison la seule vie à laquelle ils
étaient habitués »
. La commission des lois au terme d'une mission à Saint-Martin-de-Ré en 1969 avait insisté sur la «
nécessité de mettre fin au caractère indéterminé de la durée de la
relégation, source de désespoir pour les intéressés qui ne peuvent
entrevoir avec certitude la date de leur retour à la liberté ».

Rapport n° 282 sur le projet de loi tendant à renforcer la garantie des
droits individuels des citoyens par MM. Edouard le Bellegou et Marcel
Molle, session ordinaire de 1969-1970.


4. Elle pouvait être prononcée au vu d'une enquête de personnalité
et d'un examen médico-psychologique, à l'encontre des récidivistes pour
crime ou délit (Personnes condamnées au cours d'une période de dix ans
soit à deux peines criminelles, soit à quatre peines d'emprisonnement
de plus de six mois pour certains délits). Elle devait s'exécuter soit
dans un établissement pénitentiaire spécialisé, soit sous le régime de
la libération conditionnelle.


5. Voir le projet « d'asile de sûreté pour l'internement des
anormaux constitutionnels » : Paul Sérieux et Lucien Libert : De
l'internement des anormaux constitutionnels : asiles de sûreté et
prisons d'Etat, Archives d'anthropologie criminelle, de criminologie et
de Psychologie Normale et pathologique ; Tome XXVII ; n° 221 ; mai
1912.


6. Ce mouvement naît dans les années 1950 en Italie (Philippe
Gramatica), en France avec la doctrine de Marc Ancel — selon laquelle
la rééducation passe par l'examen approfondi de la personnalité de
l'individu délinquant — et en Belgique.


7. Pierre Bouzat et Jean Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, Dalloz, 1970, p. 331.

8. Il vise à réformer l'article 64 du Code pénal qui ne prévoit pas
la punissabilité des délinquants dont le discernement est altéré au
moments des faits incriminés mais seulement le cas d'irresponsabilité
pénale totale. La réforme du Code pénal de 1992 (application en 1994)
modifie l'article 64 pour faire coexister deux cas : celui de
l'irresponsabilité pénale et celui de la punissabilité avec
circonstance atténuante pour discernement altéré en raison d'un trouble
psychique. Dans les faits, cette circonstance jouera comme circonstance
aggravante.


9. Claude-Olivier Doron, chercheur au REHSEIS et au Centre
Georges-Canguilhem, communication au séminaire de recherche sur
l'expertise psychiatrique, Paris, séance du 21 février 2008.
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